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En mai 2021, TotalEnergies lançait une importante campagne de communication, insistant sur son ambition « d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 » et sur sa position « d'acteur majeur de la transition énergétique ». Les associations Greenpeace France, Notre Affaire à Tous et les Amis de la Terre France (« les associations »), estimant que ces communications constituaient des pratiques commerciales trompeuses, assignaient en mars 2022 les sociétés TotalEnergies SE et TotalEnergies Electricité et Gaz France (« les sociétés Total »), devant le Tribunal Judiciaire de Paris, en vue de faire cesser ces agissements et d'obtenir une indemnité.
Par un jugement du 23 octobre 2025, le Tribunal Judiciaire de Paris a partiellement fait droit aux demandes des associations. Le Tribunal a en effet jugé que le fait de diffuser sur le site internet du Groupe des communications faisant part de son « ambition d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 » et « d'être un acteur majeur de la transition énergétique » matérialisait des pratiques commerciales trompeuses, de nature à induire en erreur le consommateur sur la portée des engagements environnementaux des sociétés du groupe Total.
Le Tribunal a ainsi condamné ces dernières à verser à chacune des associations demanderesses la somme de 8.000 € en réparation de leur préjudice moral, et leur a fait injonction de cesser de diffuser dans un délai d'un mois certaines des communications litigieuses, sous astreinte. Le Tribunal a également condamné les sociétés du groupe Total à publier le dispositif de sa décision sur la page d'accueil de leur site internet.
Ce jugement apporte une importante pierre à l'édifice des contentieux environnementaux émergents, et apporte un nouvel éclairage concernant la notion de pratiques commerciales trompeuses en matière environnementale (aussi appelées « greenwashing »).
D'emblée, relevons que dans ce jugement, le Tribunal se réfère, outre aux dispositions applicables du Code de la consommation (articles L. 121-2 et s. du même code), à la Directive (UE) 2024/825 du Parlement européen et du Conseil du 28 février 2024 modifiant les directives 2005/29/CE et 2011/83/UE (la « Directive »), qui vient préciser les conditions dans lesquelles pourra être réputée trompeuse une pratique commerciale relative aux performances environnementales futures.
Si cette Directive n'est pas encore transposée en droit interne, le tribunal s'y réfère en application du devoir de coopération loyale énoncé à l'article 4 du Traité sur l'Union européenne, lui imposant d'interpréter le droit interne sans risquer de compromettre la réalisation de l'objectif poursuivi par cette nouvelle Directive. Néanmoins, in fine le jugement ne s'appuie finalement qu'à la marge sur les dispositions de cette dernière.
Le jugement nous éclaire sur les conditions dans lesquelles des communications portant, non sur les caractéristiques d'un produit, mais sur les ambitions et la stratégie globale d'une entreprise en matière environnementale, peuvent être qualifiées de pratiques commerciales.
A ce titre, le tribunal écarte la plupart des communications prétendument litigieuses, considérant qu'elles « [faisaient] partie de la communication informationnelle sur l'actualité institutionnelle du groupe, sans relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d'un produit aux consommateurs », ou étaient publiées « dans un but informationnel, sans relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d'un produit aux consommateurs ». Il s'agissait notamment de communications ad hoc au moment du changement de dénomination sociale du groupe, des « Rapports Climat » de la société, ou d'extraits de résolutions de l'Assemblée Générale.
En revanche, le tribunal retient trois communications figurant sur les site internet des sociétés du groupe Total comme constituant des « pratiques commerciales », dès lors qu'elles utilisent les messages généraux en matière d'ambition et de stratégie environnementale comme un argument de vente. Pour l'une, le jugement relève que « ces éléments sont utilisés (…) à destination des consommateurs, pour promouvoir ses offres, qui apparaissent par la suite sur les captures d'écran », pour les autres, qu'elles figurent sur des pages intitulées « Les 5 bonnes raisons de nous choisir », ou « Pourquoi nous choisir ».
L'analyse du caractère trompeur des allégations litigieuses par le tribunal porte plus spécifiquement sur les termes d' « ambition de neutralité carbone d'ici 2050 » et d' « acteur majeur de la transition énergétique » employés par les sociétés du groupe Total dans leurs communications.
Selon les associations, le caractère trompeur de ces allégations tiendrait au fait que le seul moyen d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 serait de réduire drastiquement et rapidement les émissions de gaz à effet de serre et, selon un consensus scientifique, de cesser immédiatement l'exploration et l'exploitation de nouveaux gisements pétroliers, pour espérer tenir l'objectif fixé par l'Accord de Paris.
Dans ce contexte, les associations demanderesses soulignaient que les allégations du groupe Total, relatives à la neutralité carbone et à son rôle dans la transition énergétique, sont en contradiction avec sa stratégie, qui prévoit de continuer à développer ses projets fossiles et d'augmenter sa production d'énergie fossile.
Dès lors, le Tribunal s'est attaché à rechercher, selon les critères classiquement appliqués en matière de pratiques commerciales trompeuses:
S'agissant du premier critère, le tribunal procède à une analyse in concreto des communications des sociétés du groupe Total et du contexte entourant la notion de « neutralité carbone ». Au regard de la communication du groupe, le tribunal considère que cette notion fait sans ambiguïté écho au concept scientifique de neutralité carbone à l'échelle planétaire, connu dans le contexte des objectifs globaux souscrits par les Etats signataires de l'Accord de Paris, lui-même appuyé sur les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), dans l'objectif de limiter l'élévation de la température de la planète à 1,5°C.
Le tribunal s'appuie sur plusieurs travaux scientifiques et rapports (GIEC, Agence internationale de l'énergie, Programme des Nations Unies pour l'environnement, Recommandations du groupe d'experts internationaux mandatés par le secrétaire Général de l'ONU), et relève un consensus sur le fait que, pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, une diminution de la consommation mondiale de combustibles fossiles est nécessaire, et que l'atteinte de la neutralité carbone en 2050 suppose l'arrêt de tout investissement dans l'énergie fossile.
Le Tribunal en déduit que la poursuite des investissements des sociétés du groupe Total dans les énergies fossiles serait en contradiction avec les préconisations de ces travaux scientifiques et donc avec l'ambition d'atteindre la neutralité carbone au sens de l'Accord de Paris.
La défense des sociétés du groupe Total, qui avançaient notamment qu'elles n'étaient pas, en leur qualité de personnes morales privées, soumises à l'Accord de Paris, n'a pas été retenue.
Les défenderesses rappelaient par ailleurs qu'il n'existe pas de trajectoire imposée permettant à une entreprise de participer à l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050, et soutenaient une possible compatibilité entre une croissance de leur production d'énergie fossile et l'ambition d'atteindre, à terme, la neutralité carbone. Elles avançaient avoir retenu des scénarii au regard de leur domaine d'activité et établi une trajectoire réaliste permettant d'atteindre la neutralité carbone à horizon 2050, validée par des tiers indépendants.
Ces arguments ont été écartés par le tribunal qui considère que la faute des sociétés du groupe Total réside dans le fait de s'être référées dans leur communication à la double ambition d'atteindre la neutralité carbone au sens de l'Accord de Paris, et d'être un acteur majeur de la transition énergétique, sans préciser aux consommateurs que le groupe Total avait son propre scénario « à rebours » des recommandations des travaux scientifiques alignés sur l'Accord de Paris. C'est cette imprécision qui, selon le Tribunal, caractérise une allégation environnementale de nature à induire en erreur le consommateur.
Ce faisant, le Tribunal, s'il se réfère à la Directive, ne fait en réalité pas application des pratiques que cette dernière condamne nouvellement, à savoir les allégations environnementales relatives aux performances environnementales futures « sans engagements clairs, objectifs, accessibles au public et vérifiables inscrits dans un plan de mise en œuvre détaillé et réaliste qui inclut des objectifs mesurables (…) régulièrement vérifié par un tiers expert indépendant, dont les conclusions sont mises à la disposition des consommateurs ».
Ce n'est pas l'absence du plan requis par ce texte qui est reprochée aux sociétés du groupe Total, mais bien l'absence de référence au propre scénario du groupe, conjuguée aux notions de « neutralité carbone » et de « transition énergétique ». Selon le Tribunal, cette absence de nuance était bien susceptible d'induire en erreur le consommateur concernant la portée des engagements de Total en matière environnementale.
En ce sens, le jugement pourrait matérialiser un avertissement aux entreprises quant aux précautions nécessaires dans l'utilisation des termes « neutralité carbone » et « transition énergétique », qui pourraient dépasser, à la lecture de ce jugement, celles qui découlent de la nouvelle Directive.
S'agissant du second critère, à savoir l'appréciation de l'altération substantielle du comportement économique du consommateur, la motivation du Tribunal reste lacunaire.
Les sociétés du groupe Total faisaient valoir l'absence de preuves fournies par les associations demanderesses sur le fait que les communications litigieuses étaient de nature à altérer le comportement économique des consommateurs. Les défenderesses soutenaient par ailleurs, sondage à l'appui, que, pour le consommateur français, le prix demeurait le critère de choix énergétique décisif.
Or, le Tribunal semble avoir pris le parti de ne pas se pencher sérieusement sur cet argument, se contentant d'affirmer que « ces allégations ont manifestement altéré, de manière substantielle, le comportement économique d'un consommateur normalement attentif et avisé dont le choix, s'il demeure guidé par le prix, intègre de plus en plus les qualités environnementales du produit ou du service ».
Le jugement reconnait donc, dans des termes à peine voilés, que le prix reste l'élément déterminant du choix du consommateur, et que le critère environnemental n'est que secondaire. Ce faisant, la motivation concernant le critère de l'altération du comportement économique peine à convaincre ; la seule lecture du jugement n'établissant pas en quoi ce comportement aurait été « manifestement » altéré.
Il est dès lors permis de s'interroger : le Tribunal, s'appuyant sur les objectifs de la nouvelle Directive, ne prête-t-il pas au consommateur des préférences qui, bien que souhaitables sur le plan environnemental, ne seraient pas encore « manifestement » observables au regard du contexte économique actuel?
Rédigé par Jean-Pierre Picca, Hélène Luciani, et Gabrielle Imbert.