
Hogan Lovells 2024 Election Impact and Congressional Outlook Report
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 22 avril 2025 dans le cadre d’un recours contestant la scission de Vivendi en quatre entités est d’une grande importance pour les praticiens du droit financier et du droit des sociétés. Il prend position sur les pouvoirs et les devoirs de l’AMF dans le cadre de l’appréciation d’une scission au regard des dispositions de l’article 236-6 du RG AMF concernant l’offre publique de retrait obligatoire (OPRO) et sur la caractérisation de la notion de contrôle de fait, au sens de l’article L. 233-3, I, 3° du Code de commerce. La situation originale créée par l’arrêt, intervenant après la réalisation de la scission, suscite des interrogations et invite à réfléchir à l’instauration de nouveaux mécanismes spécifiques sur l’appréciation du contrôle et la suspension d’une opération en cas de contestation.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 22 avril 2025 (l’Arrêt), statuant sur le recours formé par un actionnaire minoritaire contre la décision de l’Autorité des marchés financiers (AMF) écartant l’application de l’article 236-6 du Règlement général de l’AMF au sujet de la scission de Vivendi, a retenu à juste titre l’attention de la grande presse. Celle-ci a souligné qu’il s’agissait d’un arrêt historique tant il est rare que la Cour d’appel de Paris remette en cause en matière d’offre publique d’acquisition les décisions du régulateur boursier qu’est l’AMF. A cet égard, l’Arrêt est d’autant plus original qu’il ne désavoue pas seulement l’analyse de l’AMF mais sanctionne l’absence de toute motivation de la décision de son Collège l’ayant conduit à considérer que Bolloré SE ne contrôle pas Vivendi pour exclure l’application de l’article 236-6 du RG AMF à la scission de cette société, qui était sollicitée par un actionnaire très minoritaire (fonds d’investissement CIAM). Au titre des éléments de contexte, il convient de relever qu’après la décision du Collège de l’AMF du 13 novembre 2024, la scission de Vivendi en quatre entités a été très largement approuvée par l’assemblée générale de ses actionnaires (à plus de 97,5 %) qui s’est tenue le 9 décembre 2024 et a été effectivement réalisée.
Les apports de l’Arrêt, très longuement et remarquablement motivé (38 pages et 212 paragraphes), sont d’inégale importance ; ils ne peuvent guère susciter de critiques sur certains points mais peuvent sans doute davantage prêter à discussion sur d’autres, et en particulier sur la caractérisation du contrôle de fait (article L. 233-3, I, 3° du Code de commerce) qui serait exercé par Vincent Bolloré et Bolloré SE sur Vivendi. Dans le cadre de cette brève analyse de l’Arrêt, seules seront présentées les conditions d’application de l’offre publique de retrait obligatoire (OPRO) prévues par l’article 236-6 du RG AMF (I) et la reconnaissance du contrôle de fait sur Vivendi (II).
I) S’agissant des conditions d’application de l’article 236-6 du RG AMF, l’Arrêt précise (pt. 47) que la mise en œuvre d’une OPRO en cas décision de principe de l’actionnaire de contrôle d’une société cotée consistant à modifier de manière significative son environnement juridique ou financier ne peut être imposée par une décision du Collège de l’AMF que si trois conditions cumulatives sont réunies, à savoir : (i) l’existence d’un actionnaire de contrôle au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce, (ii) une proposition ou une décision de principe de l’actionnaire de contrôle consistant à modifier de manière significative l’environnement juridique ou financier de la société contrôlée (comme une modification substantielle des statuts ou une opération de restructuration, telle une scission), et enfin (iii) une atteinte substantielle de l’opération projetée aux droits ou aux intérêts des actionnaires. La caractérisation d’un contrôle, de droit ou de fait, au regard des dispositions de l’article L. 233-3 du Code de commerce (et non d’un autre texte), est donc la première de ces conditions, à défaut de laquelle l’application de l’article 236-6 du RG AMF ne peut qu’être écartée. La caractérisation d’un contrôle est donc une condition préalable, déterminante de l’applicabilité du texte. Aussi s’agit-il d’un point cardinal, soumis à l’appréciation du régulateur boursier, qui peut faire ou non l’objet d’une contestation selon que l’existence d’un actionnaire de contrôle est reconnue, ou non (comme c’est le cas en l’espèce, Vincent Bolloré et Bolloré SE contestant l’existence d’un contrôle exercé sur Vivendi, qui est allégué par le fonds d’investissement CIAM, actionnaire très minoritaire de cette dernière société). Pour le dire autrement, l’AMF ne peut apprécier l’opération en cause sous l’angle de son atteinte éventuelle aux droits ou aux intérêts des actionnaires que si l’existence d’un actionnaire de contrôle est préalablement établie.
Il est remarquable que la cour d’appel envisage que la question de la caractérisation du contrôle puisse être posée au sujet d’une proposition ou d’une opération projetée, soit en amont d’une décision de principe de l’éventuel actionnaire majoritaire, si son existence est établie. C’est dire que l’AMF pourrait être saisie de la question de la caractérisation du contrôle et se prononcer sur ce point au vu d’un projet, avant que le principe de la réalisation de l’opération soit arrêté et que se pose la question de l’appréciation de son impact sur les droits et intérêts des actionnaires. En l’occurrence, l’AMF avait précisément considéré dans sa décision du 13 novembre 2024 que cette question ne pouvait pas se poser en l’absence de contrôle exercé par le groupe Bolloré sur Vivendi mais sans motiver son analyse et sa conclusion sur ce point essentiel, alors même qu’elles avaient un caractère décisionnel. Aussi la Cour d’appel de Paris a-t-elle annulé la décision du régulateur (en rappelant l’exigence d’une motivation minimale des décisions de portée individuelle prises en matière d’offre publique d’acquisition) sur l’absence de contrôle et de mise en œuvre d’une OPRO avant de substituer, par le jeu de l’effet dévolutif du recours, sa propre décision.
II) Quant à la caractérisation par la cour d’un contrôle de fait exercé sur Vivendi au sens de l’article L. 233-3, I, 1° du Code de commerce, il s’agit de la partie essentielle de l’Arrêt (16 pages et 85 paragraphes) et celle qui suscitera sans doute le plus de commentaires. Plus précisément, la question était ici de savoir si l’existence d’un contrôle exercé par le groupe Bolloré sur Vivendi pouvait être retenue en application des dispositions de l’article L. 233-3, I, 3° et 4° du Code de commerce qui visent respectivement le cas où une personne « détermine en fait par les droits de vote dont elle dispose les décisions dans les assemblées générales de cette société » et le cas où une personne « est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de cette société ». A cet égard, la cour écarte non seulement l’appréciation du régulateur mais aussi l’avis du ministère public qui adhérait à l’absence de contrôle exercé par le groupe Bolloré sur Vivendi. Devant la cour, l’AMF mettait l’accent sur les décisions adoptées en AGO (et en particulier sur les décisions relatives à l’approbation des comptes sociaux et consolidés, l’affectation du résultat et la distribution du dividende), au regard des quorums atteints et des pourcentages de vote « contre ». Elle déduisait de cet examen que le groupe Bolloré n’avait pas déterminé en fait, par les droits de vote dont il disposait, toutes les décisions dans les assemblées générales de Vivendi réunies au cours des trois dernières années. De son côté, le ministère public estimait qu’au regard du poids non majoritaire du groupe Bolloré dans sa participation aux dix dernières assemblées générales de Vivendi, les critères du contrôle de fait prévus par le Code de commerce n’étaient pas satisfaits.
Les critères du contrôle de fait n’ayant jamais été posés clairement par la jurisprudence, ni par la doctrine (qui le présente en résumé comme la possibilité pour un actionnaire de faire prévaloir son point de vue dans les assemblées générales), la Cour d’appel de Paris pouvait en retenir une conception étroite, au regard de la majorité des droits de vote exercés en assemblée générale, ou une conception plus souple et plus large permettant de le caractériser même en l’absence d’une telle majorité. C’est cette approche que la Cour adopte, après une analyse approfondie de la rédaction d’ensemble de l’article L. 233-3 du Code de commerce (et des différents cas de contrôle) et des travaux préparatoires de la loi du 12 juillet 1985 dont sont issues les dispositions en jeu.
La cour relève (pt. 175) que la volonté du législateur n’a pas été de retenir un critère unique fondé sur le nombre de voix exprimées en assemblée générale mais « une combinaison de critères». Elle en conclut (pt. 182) qu’il « convient de prendre en compte les droits de vote exercés dans les AG, ainsi qu’un ensemble de circonstances, telles que, notamment, la qualité de principal actionnaire de celui dont le contrôle est allégué, son éventuelle position stratégique au sein de l’AG, la notoriété dont il est susceptible de bénéficier et l’éventuelle dispersion des titres dans le public ».
Appliquant ces critères au poids du groupe Bolloré au sein de Vivendi, la Cour relève (pts. 183-201) sa position de principal actionnaire (et d’unique actionnaire industriel) de Vivendi, la dispersion du capital et les fonctions exercées successivement par Vincent Bolloré puis par ses fils dans la gouvernance de la société et leur autorité particulière en assemblée générale. Elle souligne (pt. 202) que la participation du groupe Bolloré s’élevait depuis 2017 à 33,33 % des voix, soit une minorité de blocage, en assemblée générale extraordinaire et (pt. 203) « surtout, eu égard au niveau de participation des autres actionnaires, que le pourcentage des voix représentées par le groupe Bolloré s’élevait, depuis 2017, en moyenne, à 43,39 % (hors AG du 9 décembre 2024), de sorte que l’écart moyen avec la majorité requise en AGO (50 %) n’était que de 6,61 % ». Enfin, la Cour relève encore (pt. 204) que lors des six assemblées générales mixtes ayant eu lieu depuis 2020 (à l’exclusion là encore de celle du 9 décembre 2024 se prononçant sur la scission de Vivendi), « toutes les résolutions en faveur desquelles le groupe Bolloré a exprimé un vote favorable ont été appliquées ». La Cour en conclut (pt. 205) qu’il ressort de « l’ensemble de ces circonstances… que M. Vincent Bolloré, qui contrôle le groupe Bolloré, a déterminé en fait par les droits de vote dont il disposait, les décisions dans les AG de Vivendi ». Elle retient en conséquence l’existence d’un contrôle de fait au sens de l’article L. 233-3, I, 3° du Code de commerce, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer en outre sur un contrôle (prévu par l’article L. 233-3, I, 4° du Code de commerce) tenant au pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de la société. Cette appréciation du contrôle par la Cour d’appel pourrait être critiquée dans le cadre d’un pourvoi en cassation contre l’Arrêt même si la caractérisation du contrôle de fait repose nécessairement sur une analyse…très factuelle.
Sans le dire expressément, la Cour ne semble pas indifférente aux autres cas de contrôle prévus par l’article L. 233-3 du Code de commerce pour caractériser en l’espèce le contrôle de fait, en prenant appui sur un faisceau d’éléments convergents de son point de vue: la qualité de principal actionnaire, disposant de plus de 40 % des voix exprimées en assemblée générale, les fonctions de gouvernance exercées, une autorité au sein des assemblées générales et une adoption des résolutions pour lesquelles le groupe Bolloré a exprimé un vote favorable. Mais en l’absence d’une majorité des voix en assemblée générale, il n’est pas sûr que ces éléments permettent d’établir de manière incontestable un véritable pouvoir de décision déterminant dans les assemblées générales, qu’une simple minorité de blocage en AGE et moins de 44 % des voix exprimées en AGO ne suffisent pas à démontrer. Constater qu’un actionnaire dispose de plus de 40 % des voix exprimées et que les résolutions en faveur desquelles il vote sont adoptées ne permet de caractériser le pouvoir d’imposer sa volonté.
Autre point notable, la Cour semble omettre de préciser à partir de quel moment le contrôle qu’elle caractérise serait intervenu. Les motifs précités se limitent sur ce point à diverses références à une période s’étalant entre les années 2017 et 2024, au cours de laquelle il est notamment relevé que « M. Vincent Bolloré bénéficiait d’une indéniable notoriété de par son parcours d’entrepreneur », que « pendant plusieurs années, avant que son fils aîné M. Yannick Bolloré ne lui succède en avril 2018, M. Vincent Bolloré a présidé les AG. Il a ensuite été censeur du conseil de surveillance jusqu’en avril 2023 et conseiller du président du directoire » ou encore que « Sa qualité de président des AG pendant plusieurs années, en tant que président du conseil de surveillance, associée à celle de principal actionnaire et de seul actionnaire industriel, lui a conféré, de manière durable, une autorité particulière en AG, notamment, lors de la nomination en AGO des nouveaux membres du conseil de surveillance ». Citant successivement les notes des 27 septembre et 5 juillet 2024, adressées par Vivendi aux services de l’AMF, les juges du fond en déduisent l’existence d’une minorité de blocage en AGE résultant du pourcentage de la participation détenue, lequel ne présentait qu’un écart moyen de 6,61% avec la majorité requise en AGO. L’absence de datation du moment précis auquel le contrôle s’est manifesté ajoute en définitive à l’incertitude relevée à propos de l’absence de caractérisation précise d’un véritable pouvoir de décision déterminant dans les assemblées générales, entendu comme le pouvoir de déterminer, seul, les décisions des assemblées générales.
Même si certains seuils sont pris en considération (et devront être retenus par les praticiens dans la perspectives d’autres affaires), l’approche souple du contrôle de fait retenue par la Cour, en écartant une conception simple et mathématique fondée sur la majorité des droits exprimés, privilégie une forme d’impressionnisme qui n’est pas à l’abri de la critique sous l’angle de la sécurité juridique. En l’état, il est certes clair que le contrôle de fait ne peut pas être contesté lorsqu’un actionnaire dispose, dans la durée, de la majorité des droits de vote dans les assemblées générales et a ainsi le pouvoir de faire adopter les décisions essentielles (approbation des comptes, affectation du résultat et distribution du dividende notamment).
Le contrôle de fait peut cependant être également retenu en dessous du seuil de la majorité des droits de vote dans les assemblées, au vu des « circonstances », en présence d’un faisceau d’indices tirés de seuils quantitatifs et d’autres éléments (et en particulier la désignation et le fonctionnement de la gouvernance) de nature à caractériser un véritable pouvoir d’imposer son point de vue en assemblée générale. Cela étant, en l’espèce, la reconnaissance du contrôle de fait exercé par le groupe Bolloré sur Vivendi ne suffit pas en soi à déclencher l’OPRO.
La Cour prend soin de souligner qu’ il ne lui appartient pas de se prononcer sur le point de savoir si l’opération de scission en cause relève du champ d’application ratione materiae de l’article 236-6 du RG AMF, ni sur la mise en œuvre d’une OPRO au regard des conséquences de l’opération sous l’angle des intérêts des actionnaires minoritaires. Ces deux questions relèvent du pouvoir d’appréciation du Collège de l’AMF qui devra donc les examiner, en sachant que sa décision pourrait à nouveau faire l’objet d’un recours devant la Cour d’appel de Paris. L’affaire n’est donc pas terminée. La scission de Vivendi ayant été approuvée par plus de 97,5 % de ses actionnaires lors de l’assemblée générale du 9 décembre 2024 (et par 95,7 % de votes positifs en retirant les voix du groupe Bolloré) puis réalisée, l’AMF pourrait hésiter à imposer dans ce contexte une OPRO dont le principe et la mise en œuvre pourraient se heurter à de sérieuses difficultés alors que le fonds d’investissement ayant fait constater le contrôle de fait exercé sur Vivendi semble raisonner de son côté en termes de compensation financière à verser aux actionnaires. La situation étonnante créée par l’Arrêt, laissant planer un risque d’OPRO après la réalisation de la scission, devrait inciter à mettre en place des mécanismes de décision spécifique sur le contrôle dans ce domaine et de suspension de la réalisation de l’opération en cas de contestation et de recours contre la décision du régulateur.
Nota Bene : A noter que la société Vivendi a annoncé avoir formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 22 avril 2025, 24/19036 : https://www.vivendi.com/communique/vivendi-se-pourvoit-en-cassation-a-lencontre-de-larret-de-la-cour-dappel-de-paris/
Rédigé par Nicolas Rontchevsky et Louis-Nicolas Ricard.